Les cahiers des Talents de l’Outre-Mer
Les cahiers des Talents de l’Outre-Mer
Déjeuner-débat avec Dr Boris Cyrulnik : synthèse des interventions
Synthèse des interventions du déjeuner débat au Procope en présence du Dr Boris Cyrulnik sur le thème : la résilience dans les sociétés post-coloniales.
Introduction de Yola Minatchy
« Je vous remercie tous de votre présence aujourd’hui à notre déjeuner-débat dans ce lieu mythique de Paris, afin de recevoir avec moi, un invité tout à fait exceptionnel, Docteur Boris Cyrulnik, mille mercis de nous faire le grand, l’immense honneur de votre présence, Vous êtes un homme aux talents plus que pluriels, Et je me faisais la réflexion ce matin que votre biographie à elle seule pourrait faire l’objet d’une série de déjeuner-débats du Réseau des Talents de l’Outre-Mer, Cependant nous retenons, côté cour, que vous avez une carrière très dense et avez privilégié une vie professionnelle au carrefour de nombre de discipline, en substance que vous êtes médecin, diplômé de la faculté de médecine de Paris, vous avez été psychiatre, neuropsychiatre, psychanaliste, Professeur enseignant, éthologue (qui est l’étude du comportement humain sous l’angle de l’espèce animale) aujourd’hui vous incarnez, lit-on, le « psy » le plus célèbre de France, Vous êtes aussi un homme engagé, vous avez soutenu des causes telles que la protection de la nature, des animaux, le droit de mourir dans la dignité, Vous vous êtes par ailleurs opposé à la gestation pour autrui Vous avez fait parti de la commission Attali sous la présidence de Nicolas Sarkozy
Vous avez reçu des gratifications, au-delà d’être commandeur de la légion d’honneur, vous avez reçu en 2008 le prix Renaudot de l’essai pour votre ouvrage Autobiographie d’un épouvantail, publié aux éditions Odile Jacob Vous êtes aussi un auteur très prolifique, vous avez écrit plus d’une trentaine de livres, qui ont connu tous d’immenses succès, sans compter les ouvrages collectifs, vous avez 2, 5 millions de lecteurs dans le monde, Le dernier Le laboureur et les mangeurs de vent où vous nous incitez « à agir sur le milieu qui agit sur nous ».
Pour vous avoir beaucoup lu, sur le concept de résilience, j’ai longtemps rêvé, de manière sporadique, à vous inviter à une de nos rencontres.
Car quand on est au service d’associations comme moi depuis plusieurs décennies, il y a un réflexe, un systématisme, il n’y a pas de développement personnel sans volonté de partage avec les autres, on se situe plutôt alors dans une forme de recherche de développement collectif.
Longtemps je me suis dit, que vous étiez celui qui pourrait nous donner quelques codes, quelques pistes, à nous ultramarins, afin de nous aider à nous sentir mieux avec la longue histoire de la colonisation qui est la nôtre, à nous sentir mieux aussi dans notre présent car on constate parfois qu’il existe une mémoire, un traumatisme transgénérationnel qui perdure.
En effet, vous êtes considéré comme le penseur, le spécialiste, même le père de la résilience, dans le monde francophone, pour l’avoir expérimenté dès votre plus jeune âge, et c’est à vous que l’on doit la démocratisation, tout autant que la médiatisation de cette notion de résilience en France.
Mais ce besoin de vous joindre, de vous contacter, je l’ai ressenti avec beaucoup plus d’acuité après un discours que j’ai prononcé publiquement le 15 septembre 2022 où j’ai évoqué, des termes tels que anciens colonisés, esclavage, engagisme, etc…
Uniquement afin de démontrer que, le mérite des jeunes Talents distingués pour leur parcours d’excellence par une autre association, le C.A.S.O.D.O.M, était plus grand, méritoire en raison du poids de l’histoire. J’ai constaté que l’emploi de ce vocable en 2022 avait suscité quelques remous chez certains de nos compatriotes.
Or sans être dans le cloisonnement, ni dans la sectorialisation avec une mono-pensée communautariste, nous ne gravitons ni dans le déni de notre passé, ni dans aucune forme de résistance.
De même, nous avons coutume de naviguer aux antipodes des systèmes du résigné-réclamant. En effet, je souligne que le RTOM est très très loin de faire « carrière dans la victimisation ».
Avec la somme des intelligences individuelles dont ce Réseau est constitué, 328 Talents, 328 pièces d’un même puzzle, ce Réseau est composé de patriotes engagés, de citoyens responsables. Nous avons fait nôtre le précepte « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Ce Réseau est aussi un incubateur d’idées, une force de propositions pour un meilleur, un plus rapide développement de l’Outre-Mer et une optimisation de l’avancement des ultramarins au sein de notre Nation, qui est la France.
Parallèlement nombre de causes sur la scène internationale diverses et variées pour le bien commun, sans communautarisme aucun.
Vous l’aurez compris, le Réseau, composé d’une génération de bâtisseurs dans des secteurs de pointe, est focalisé sur la construction de l’avenir et non axée sur un passé colonial.
Intervention de Line Numa Bocage
La question de la résilience en tant que réponse et interrogation scientifique est survenue dans nos réflexions lorsque, lors d’une émission radiophonique, nous entendons le professeur Boris Cyrulnik parler des « Vilains petits canards » (l’un de ses ouvrages dont il faisait la promotion), il a évoqué sa propre expérience de vie. En effet, le professeur Boris Cyrulnik a échappé aux camps de concentration parce qu’une personne a caché le jeune enfant qu’il était alors sous le brancard d’un mourant lorsque les soldats SS passaient vérifier le convoi dans lequel il se trouvait. Le professeur Cyrulnik parle alors de quelque chose qu’il connait personnellement, intimement pourrait-on dire, la résilience. En effet, lors de cette interview il a reçu un appel d’une personne qui s’est présentée comme étant l’infirmière qui avait caché sous le brancard ce jeune garçon. Le contenu de cette émission a été pour nous déterminant sur l’un des sens apporter au concept de résilience et sur la réflexion qui se prolonge pour les populations de nos territoires. Qu’est-ce que la résilience, de quelle manière le professeur Cyrulnik la définit-il ? Comment finalement ce concept de résilience pourrait-il « nous servir », être utile à tous à travers les questions d’éducation, de formation des enseignants et éducateurs par exemple ? Les définitions générales de la résilience incluent le sentiment de rebondissement, de dépassement des problèmes, mais aussi de faire face et de modification des problèmes. Un développement positif malgré l’adversité ou la capacité de résister et de rebondir face aux défis de la vie, ou encore la résilience est l’adaptation positive à l’adversité malgré les menaces graves à l’adaptation ou au développement. La résilience pour le professeur Cyrulnik est la reprise d’un développement après un traumatisme, un processus qui s’appuie sur des fondements. À partir d’un milieu sécure, l’enfant peut alors grandir. La théorie de l’attachement de Bowlby le montre bien. Il est donc important de rendre les mères sécurisées, qu’elles ne se sentent pas en danger (psychologiquement, affectivement, économiquement) pour que les enfants à leur tour soient sécures. Le milieu familial sécurisé permet de transformer l’environnement épigénétique (milieu CH3 biologie chez la mère enceinte). Le concept de résilience comme élaboration psychique permet d’offrir, au-delà de traces épigénétiques existant chez chacun de nous, des leviers potentiels de construction de soi pour vivre et créer dans l’ici et maintenant.
Questions de Yola Minatchy
En tout état de cause, Docteur Cyrulnik, je vous demanderai de définir le concept de résilience, comment la définissez-vous ? Quels en sont les éléments constitutifs ?
Pensez-vous que notre passé colonial est « résiliable » ? Comment trouver la balance, la voie du milieu entre de devoir de mémoire, sans tomber dans le déni de votre histoire ?
Quelles sont les stratégies à mettre en place, quelles sont les étapes afin de tendre vers une forme de résilience collective ? Est-ce que l’engagement, par exemple, est une constituante de la résilience ?
Et qu’il y a-t-il après la résilience ? Mais en premier lieu, qui vous êtes ? Comment en êtes-vous arrivé à ce concept de résilience ? »
Synthèse de l’intervention du Dr Boris Cyrulnik
Par Line Numa Bocage
L’une des notions en jeu dans ce processus et que nous pouvons retenir à la suite de la conférence du professeur Cyrulnik, est celle du trauma. Le trauma est encore d’actualité et rejoint les préoccupations du RTOM : « C’est-à-dire, dans nos sociétés, « dites » post-coloniales, comment vivons-nous avec ce que nous sommes ? » Le professeur Cyrulnik a évoqué dans sa conférence, des éléments qui orientent notre réflexion. L’un d’entre eux concerne les « traces », ou ce qui a constitué ce que le professeur Cyrulnik a appelé « lignée », puisque de fait dans les sociétés ultramarines actuelles, « nous ne sommes plus en esclavage »… dans les textes, mais nous sommes porteurs des traces épigénétiques de cette période de nos histoires. Des micro-agressions et humiliations peuvent conduire à penser que la situation d’esclavage perdure sous des formes différentes. L’esclavage voit se mettre en place une « logique délirante » au sens psychologique et sociologique, c’est la colonisation. Boris Cyrulnik parle de « Délire logique », les individus sont coupés de la réalité sensible. La résilience post-coloniale devrait avoir comme préoccupation de sécuriser les femmes pour qu’elles transmettent un facteur de sécurité aux enfants et non un facteur de vulnérabilité ; « Agir sur le milieu qui agit sur nous » explique-t-il. Que se passe-t-il de nos jours ? L’une des questions est suscitée par les tremblements que nos sociétés ont connus durant l’année 2021 et qui ont encore maintenant des soubresauts. Pour les jeunesses qui ne sont plus, on pourrait dire, « esclaves », comment interpréter ce qui se joue, ce qui se passe en ce moment ? Nous rapprochons ce développement de la notion de processus d’élaboration de la résilience proposée par le professeur Cyrulnik. Cela rejoint une autre de nos préoccupations, qui est celle de la place de l’adjectif « résilient ». On a de plus en plus, dans le discours ambiant, tendance à parler de « chose résiliente », ou d’un tel « résilient ». Un adjectif qui tend à rendre acceptable, à faire accepter et finalement à réifier ; loin de l’idée du processus de résilience, du concept de résilience. Un processus qui semble être l’élément fondamental dans cette question de résilience afin de lui donner une portée qui dépasse la genèse du concept décrite à travers l’histoire personnelle du professeur Cyrulnik. Il s’agit d’un processus et en effet, c’est l’essentiel. La mise au travail, l’élaboration permettent le développement de l’individu. Que peut apporter à nos sociétés divers et multiples ce processus de résilience pour faire que chacun se sente acteur dans la société et construise le sens de sa vie ? Le professeur Cyrulnik a parlé de développement, qu’est-ce qui peut se jouer dans nos sociétés ? Le « nous » restant très général, afin d’englober la résilience d’un point de vue individuel et d’un point de vue collectif. Boris Cyrulnik distingue la transmission génétique, épigénétique. Les conditions qui entourent la vie de l’enfant avant et après la naissance constituent la matrice de transmission épigénétique. C’est ainsi que le professeur Cyrulnik ne parle pas de trauma, il parle de « blessure ». Dans cette dynamique la question de l’élaboration est importante. La résilience est possible s’il y a élaboration. Élaborer vient de l’idée de travailler hors de la terre, de partager. L’élaboration permet non pas de changer le fait qui existe et a été (la blessure), mais de changer la représentation du fait, de comprendre, de faire évoluer et de se développer. Le récit constitue l’un des moyens de cette élaboration. Humaniser en racontant permet de déclencher des émotions, sources de déclenchement de réflexions. La Culture permet d’éviter le « délire logique », et le discours de déclencher des émotions et de rétablir la relation. Le professeur Cyrulnik précise quelques points d’attention. Il préfère parler de « Travail de la mémoire » plutôt que de « Devoir de mémoire ». Mais lorsqu’il y a un déni cela entraine un clivage. On peut être dans le déni, dans l’impossibilité de transmettre, il faut alors le détour par un tiers pour permettre l’élaboration afin d’éviter les maladresses de la transmission. Il attire notre attention sur la « logique » qui nous rend prisonnier et sur la question du déni qui entraine la transmission de la blessure. Le déni conduit au racisme qui cherche à convaincre par des arguments émotifs, sans élaboration. L’acte mémoriel renvoie selon lui à une commémoration « désaffectée », avec un aspect « pétrifié », sans émotion et on en perd le sens. Il propose de penser à un « nouveau contrat social » (à la suite des transformations rapides que connaissent nos sociétés, par exemple le Covid) Des pistes pour la résilience dans nos territoires fondées sur leurs histoires sont proposées par le professeur Cyrulnik : L’éducation pour le développement ; les acteurs (tuteurs de résilience) ; des cadres d’action (écoles, travail, formation, justice).Le Pour ce qui est de la question de la réparation le professeur répond qu’il existe une injustice sociale, mais l’argent va-t-il réparer ? Ces cadres d’action trouveraient à développer la résilience avec une approche psycho-didactique selon nous. Le facteur le plus commun pour les enfants qui développent un processus de résilience est au minimum une relation stable et engagée avec un parent, un soignant ou un autre adulte. Les enfants qui réussissent bien face à de graves difficultés ont généralement une résistance biologique à l’adversité et des relations fortes avec les adultes importants de leur famille et de leur communauté.
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